Nouveau logo Peugeot et rebranding auto, ça sent le fauve !
Le constructeur automobile Peugeot a dévoilé son nouveau logo ce jeudi 25 février lors d’une conférence de presse. À l’heure des fusions de groupe, PSA et maintenant le mastodonte Stellantis, Peugeot fait peau neuve avec une nouvelle image de marque qui assume plus que jamais la crinière et le rugissement sauvage de son célèbre emblème lion.
Un nouveau logo “revival” pour Peugeot
Le retour de la forme en écusson donne un style vintage ou héritage au nouveau logotype et on pouvait s’attendre à des réactions plutôt hostiles face à ce choix. On aurait pu penser que ce logo allait seulement émouvoir vos grands-parents qui ont connu la marque lorsqu’elle commercialisait principalement des moulins à café, mais il n’en est rien, bien au contraire.
Malgré ce logo très “retour vers le futur”, et après un tour rapide sur Twitter, à notre grande surprise, la réception du nouveau logo Peugeot a l’air plutôt bonne. Quelques critiques qui mettent en évidence le rapprochement héraldique avec les logos de Ferrari et Lamborghini, ou le fait qu’il pourrait ressembler à un logo de club de foot amateur… pas de levées de boucliers donc (Ahahah jeux de mots) !
Une tête de lion qui rugit avec un style graphique réaliste (façon trophée de chasse safari) c’est forcément un peu bestial et comment dire… viril ? Beaucoup de réactions saluent ce retour d’un logo féroce, royal et conquérant.
Peugeot a pris le contrepied de ce qu’ont fait les autres constructeurs avec des rebranding récents qui font la part belle à la simplicité géométrique pour favoriser l’intégration des logos dans les nouvelles interfaces-écrans et envoient un message fort à la nouvelle génération en supprimant le style chromé “boomers” 🙂
Déjà en 2010 nous questionnions cette overdose de chrome dans les logos automobiles et nous nous défendions de faire une fixette sur le logo Peugeot !
Les logos de voiture chromés c’était l’époque des marées noires et des scandales de pollution aux particules fines… En tous cas c’est ce que les nouvelles identités récentes tentent de faire oublier avec leurs spots publicitaires aux logos épurés “flat” et qui se déclinent désormais en version lumineuse ; des conducteurs et conductrices qui ont l’âge d’être étudiants en visio et le compte en banque à zéro ; des décors et visages baignés de lumières stroboscopiques et colorées à la Drive, que l’on a plutôt tendance à voir dans les spots de baskets streetwear ou dans un clip de musique électro.
Notons que dans le registre de nouveau logo de voiture, Renault s’est dernièrement brillamment illustré en rendant hommage à son patrimoine graphique avec un emblème vibrant qui ressuscite les rayures de l’art optique vasarelien, pour un résultat résolument moderne simple et iconique.
La disruption qui drague la “new generation”
Welcome fée électricité et bye bye l’essence à la pompe. Fini aussi les arguments libidineux (tu as la voiture, maintenant à toi la femme), ou la promesse d’une vie de famille avec toute la smala ravie sur les sièges arrière. L’industrie automobile se tourne définitivement vers une esthétique hybride et électrique qui se rêve plus propre, digitale, et définitivement fun. Smartphone, console, PC ou réseaux sociaux, la vie s’est “gamifiée”.
Et pourtant, Peugeot revient à son écusson médiéval de 1960 avec une tête de lion racée et pleine de détails dans la fourrure. Un parti-pris très figuratif et naturaliste qui risque de diviser et posera également pas mal de problèmes de reproduction et de lisibilité en petite taille. Un nouveau logo très patrimonial et “adulte”, voire “senior”, mais qui a le mérite de se distinguer de la concurrence. C’est un retour en force de l’animal(ité) pour le constructeur automobile français dans un paysage d’identités graphiques minimalistes et policées. En cela c’est un choix surprenant, possiblement audacieux.
On avait d’ailleurs vu le logo Peugeot des années 60 faire son come-back sur la e-LEGEND, concept car du futur inspirée du passé (la 504 coupé revisitée) entièrement électrique et même autonome, sortie il y a peu. On prend les mêmes et on recommence ? C’est ce que leur #UnboringTheFuture semble dire (rendre le futur moins ennuyeux).
On peut aussi y lire une posture conservatrice, cherchant dans les tréfonds de son héritage (revenir 60 ans en arrière !) une histoire à laquelle se raccrocher. Sous cet angle, le nouveau logo Peugeot nous propose une vision de l’automobile avec un œil dans le rétroviseur !
Un block-buster en Franche-Comté
Voici le clip de révélation de cette nouvelle identité. On sera impressionné par les moyens déployés par la firme de Sochaux (cf: le lion de Peugeot provient du blason de la Franche-Comté). Un keynote de de 22 minutes à Hollywood-sur-Doubs.
Le nouveau mantra “Turn time into quality time“
Si d’aventure vous arrivez à comprendre ce qu’ils ont voulu raconter, n’hésitez pas à laisser un commentaire. En attendant on y voit surtout une collection de mots qui font “style” mais sonnent profondément creux. On comprend juste que Peugeot essaie de monter en gamme.
Sur le site de la e-LEGEND on lisait déjà ceci : “dans un environnement actuel où nous sommes en permanence ultra-stimulés, avoir du temps pour soi est probablement ce qu’il y a de plus précieux.” Il s’agirait alors d’utiliser son temps libre pour faire tout sauf perdre son temps, la conduite étant une perte de temps. Là où on nous vendait avant le luxe de l’espace puis le plaisir de la conduite on nous propose désormais le luxe de faire autre chose. “La conduite autonome va permettre de retrouver ce temps pour soi et créer de nouvelles expériences à vivre au sein de son véhicule.” On va donc non plus conduire mais plutôt s’amuser dans la voiture du turfu.
C’est drôle comme les concepteurs d’automobiles ont tendance à nous vendre du rêve en représentant la voiture (surtout le SUV) comme une bulle de protection pour fuir la monotonie du monde extérieur et se reconnecter à soi, alors que c’est justement à force de se couper des autres que l’on se déconnecte du monde. On l’a vu avec le confinement… L’homme est un animal social, ne l’oublions pas, et la plupart des inventions des 20 dernières années ont contribué à déshumaniser le lien social pour le digitaliser, à isoler l’individu du groupe. Non, on ne sera pas plus heureux en regardant tous ensemble un film dans sa voiture. Chanter à tue-tête sur une seule et unique cassette qui tourne en boucle n’a pas de prix #nostalgie.
Allumer des phares plutôt que regarder dans le rétroviseur
On est d’accord qu’un logo ne changera pas la face du monde à lui tout seul. En revanche, on sait combien ces changements de codes sont révélateurs, et nous offrent des fenêtres de lecture sur les organisations et leurs motivations.
Au cours de la décennie passée, l’industrie automobile a cherché à gommer son caractère ostentatoire. Le chrome était à la voiture ce que les dorures étaient à la 3e république. Un décorum superficiel visant à briller et à impressionner. On sait combien la voiture était la vitrine du capital économique de ses conducteurs. “Sa voiture, on peut la montrer partout ; pas son logement” [1].
À ce stade, on peut légitimement se demander si l’arrivée d’Instagram, accompagné de son exhibition de décorations d’intérieures et autre “home-staging” n’a pas siphonné le mythe de la voiture, en transférant la mise en scène du capital économique sur le logement. En tout cas, ça semble évident pour les jeunes générations.
Revenons aux voitures. L’urgence climatique infusant lentement dans la société, le pétrole passant du statut d’or noir à celui de paria, il était probablement temps de faire profil bas. Le passage du logo “chrome” au logo “flat” semble tout à fait opportun, et vient diminuer à moindres frais l’empreinte-carbone symbolique de leurs logos. Dans le même temps, les SUV multipliaient leurs ventes par 10.
Mais cela ne répond toujours pas réellement à la question fondamentale :
Quel avenir désirable et durable les constructeurs automobiles peuvent-ils nous proposer ?
C’est là qu’on aimerait lire dans les phares plutôt que dans les rétroviseurs.
À la question posée, on entend déjà le concerto de réponses des constructeurs nous chanter les louanges de la voiture électrique. L’alpha et l’oméga du “zéro émission” et autres chimères du véhicule “propre”.
Depuis deux décennies que le sujet est sur la table, nos mastodontes centenaires avancent à pas de fourmis. Il y a bien quelques guépards comme Tesla qui cherchent à bousculer l’ordre établi, mais ce n’est pas avec une voiture de 2 tonnes, et des batteries composées de métaux rares que l’ont va diminuer l’empreinte écologique de nos transports.
Pourtant en regardant du côté des scientifiques, des économistes, et des ingénieurs, la sentence est assez claire. Nous devons diviser par quatre nos émissions de CO2 d’ici 2050. Or le transport représente à lui seul 14% des émissions, dont 6% pour les seules voitures individuelles. Et c’est là que la voiture électrique apparait comme la mauvaise réponse à un vrai problème.
La fée électricité n’aura pas de voiture !
Remplacer le parc voiture actuel par des véhicules électriques est non-sens total quand on sait qu’une voiture électrique, sur son cycle de vie complet, n’offre pas de réduction d’émission de CO2 particulièrement notable.
Sur ce sujet, nous vous invitons à faire un détour vers l’analyse détaillée de Jean-Marc Jancovici (fondateur su Shift Project et de Carbone4) sur son blog.
Il démonte ainsi le mantra de véhicule “propre”, et son bon sens l’invite à regarder lucidement nos objectifs de décarbonations pour 2050. Diviser par 4 nos émissions, quand on sait qu’une voiture légère peut consommer moins de 3l/100km, tandis qu’un SUV aspire 8 L/100km, et qu’il faudra probablement plusieurs décennies pour mettre en place les infrastructures de recharges, nous offre un éclairage limpide !
La solution pragmatique qui devrait s’imposer serait de concentrer les efforts sur la production de petits véhicules légers à essence, consommant moins de 2l/100km. C’est certain qu’avec une 2CV, le capital économique des conducteurs ne va pas s’en trouver glorifié (quoique). C’est là qu’on attend des constructeurs qu’ils nous inventent une nouvelle histoire, un récit mettant en scène le transfert du capital économique vers un capital culturel bien moins polluant. C’est certainement pas en glorifiant la “puissance et la vitesse” comme avec ce Lion que ce nouveau récit va s’inventer. Et si on valorisait l’écologie avant l’économie ?
Quid d’un Spotify des transports ? Par exemple, en valorisant l’usage plutôt que la possession, transférant dans ce changement de modèle économique la charge de la pollution au fournisseur de service plutôt qu’à l’utilisateur. Fournisseur ayant d’office un intérêt économique à allonger la durée de vie de biens loués, et donc à polluer moins. CQFD.
Le nouveau logo de Peugeot valorise la puissance et la force à travers un logo rugissant alors que le constructeur pourrait nous ouvrir des perspectives de mobilités durables. Au lieu de cela, il préfère regarder les formes du passé. Le lion est-il mort ce soir ?
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Sources :
[1] La sociologie de l’Automobile de Yoann DEMOLI, Pierre LANNOY.