Regards graphiques

Extinction Rebellion : engagé pour le vivant

extinction-rebellion-logo-signification

Pour la seconde fois dans l’histoire de l’humanité, une génération grandit avec la conscience que notre monde pourrait s’effondrer. Cette angoisse anxiogène génère de nouveaux signes de luttes citoyennes. Si les années 60s militaient avec le signe “peace” pour lutter contre l’armement nucléaire et la menace de la bombe H, notre génération déploie celui d’Extinction Rebellion, mouvement de désobéissance civile non-violente, en signe de ralliement pour le vivant.

“Quand l’espoir meurt, l’action commence”

L’histoire commence en 2011, 7 ans avant qu’Extinction Rebellion ne voie le jour. Dans son studio de l’est londonien un artiste connu sous le pseudonyme ESP cherche à créer un symbole pour rallier les militantes et militants à la cause écologique. Sensibilisé à la crise de la biodiversité par les paysages dévastés par la déforestation massive en Indonésie, il cherchait depuis des années un moyen d’alerter sur cette urgence. “Je me suis progressivement rendu compte que le problème était si vaste que je ne pouvais pas agir seul, et qu’il fallait donc trouver quelque chose qui soit simple et facile à reproduire par tout le monde. À l’époque, je m’intéressais beaucoup à l’histoire des symboles, tels que les symboles pariétaux, les runes, l’alchimie médiévale, ceux de la paix ou de l’anarchie, etc. Je me disais que le mouvement écologiste n’avait pas vraiment de symbole propre et distinct.

Il gribouille des ébauches de logo et c’est le déclic lorsqu’il dessine une croix dans un cercle, comme un sablier. ESP contacte une vingtaine d’organisations environnementales pour leur offrir gratuitement son symbole, mais une seule répond sans pour autant l’utiliser. Il décide alors de passer à l’action en le dessinant sur des murs dans les rues de Londres. Les passants comprennent vite son sens ; la croix, le sablier, le temps qui passe, l’urgence.

extinction-rebellion-manifestations

En 2018, les fondateurices du collectif Rising Up! le contactent. Le mouvement naissant cherche précisément un symbole qui puisse “transcender les différences linguistiques et distiller beaucoup de sens dans une forme simple, qui devienne alors un concentré d’énergie”. Le logo d’Extinction Rebellion est pour la première fois utilisé devant le palais de Westminster à Londres durant une manifestation visant à se rebeller contre l’extinction du vivant, avec un millier de manifestants, dont Greta Thunberg.

Gail Bradbrook, docteure en biophysique moléculaire et opposante au gaz de schiste, Roger Hallam, agriculteur biologique et chercheur sur la désobéissance civile et Simon Bramwell, un ancien ouvrier du bâtiment reconverti en moniteur de stages de survie, fondent ainsi ce mouvement activiste, avec d’autres militant.es. Leur slogan ? “Quand l’espoir meurt, l’action commence.” La rébellion citoyenne pour défendre l’écologie a désormais un nom, et un logo.

Secoué par la menace du dérèglement climatique et la destruction du vivant induite par l’activité humaine, le mouvement citoyen Extinction Rebellion prône la désobéissance civile non-violente pour “persuader les gouvernements d’agir justement face à l’urgence climatique et écologique.” Il s’inspire des luttes sociales comme celles de Gandhi ou des afro-américains, et du mouvement “Occupy” (un mouvement luttant contre l’injustice et les inégalités). Les manifestantes et manifestants sont préparé.es à être arrêté.es. Le mouvement n’est ni idéologique ni politique et ouvert à toute personne qui souhaite agir.

Extinction Rebellion : un sablier dans un cercle, parce que le temps est compté

Si le logo d’Extinction Rebellion est simple, sa symbolique est forte. Le cercle représente la Terre, et le sablier stylisé est un “avertissement que le temps est compté pour de nombreuses espèces”, symbolisant l’holocène, la 6e extinction de masse. Le cercle, par sa forme fermée parfaite sans début ni fin, symbolise depuis l’aube des temps la totalité, l’éternité, mais aussi la protection. Dans le symbolisme écologique contemporain, il évoque naturellement notre planète Terre, cette “bille bleue” fragile photographiée pour la première fois depuis l’espace en 1946.

À l’intérieur, deux triangles forment un sablier, figure du temps qui passe, mais qui peut être renversé. Ce “X” peut aussi être interprété comme une interdiction, un “stop”. Le triangle, note Adrian Frutiger, est la forme qui “montre une direction” comme une flèche. Ici, les deux triangles opposés créent une tension visuelle : l’un pointe vers le haut (l’espoir, l’élévation), l’autre vers le bas (la chute, l’effondrement). Cette dialectique formelle traduit parfaitement l’ambivalence de notre époque climatique, entre possibilité de retournement et menace d’extinction. Comme le souligne Oscar Fernández, professeur au Columbus College of Art & Design : “Il y a une intelligence à placer ce sablier dans la forme circulaire et donneuse de vie de la terre ; comme s’il y avait une maladie implantée.”

La charte graphique d’origine du logo d’Extinction Rebellion tient en quelques lignes sur un site minimaliste, qui propose le logo sous format svg, et sa version pochoir. Elle a été enrichie depuis, et visible sur ce site. On l’utilise toujours sur fond coloré uni, le plus souvent noir ou vert, mais aussi rose, jaune, violet ou bleu. Pastoureau explique que l’Occident confie à la couleur verte “l’impossible mission de sauver la planète”…

Le logo Extinction Rebellion ne tolère aucun produit dérivé

Si le logo est disponible librement dans le domaine public, aucun produit dérivé ni usage commercial n’est toléré, et les manifestant.es sont invité.es à créer leur propres accessoires à la main. L’idée est d’éviter que le logo serve la société capitaliste qu’il dénonce, comme cela est arrivé avec le symbole peace & love (dont on parlait dans le 1e article de la série) ou le symbole Anarchie.

XR-logo-militant

Cette volonté s’inscrit dans l’héritage des valeurs des ateliers créatifs de mai 68 (dont on parlera plus bas) qui affirmaient que “utiliser [les affiches] à des fins décoratives, les exposer dans des lieux de culture bourgeoise ou les considérer comme des objets d’intérêt esthétique, c’est porter atteinte à leur fonction et à leur effet.”

Le site d’Extincion Rebellion propose même un générateur d’affiches pour “rebelles” et propose des affiches en téléchargement libre :

Si n’importe peut participer à la création d’affiches ou de contenus, puisque les sources sont ouvertes, deux graphistes sont investis depuis l’origine d’XR ; Charlie Waterhouse and Clive Russell, et déclinent l’identité sur divers supports visuels, dont la charte graphique dont on parlait plus haut. Le duo d’artistes-activistes vétérans est aussi a l’origine de l’agence This Ain’t Rock and Roll impliquée dans plusieurs campagnes militantes. “Si nous disions aux gens d’aller chez h&m pour acheter un t-shirt Extinction Rebellion et rejoindre le mouvement, quel message leur transmettrions-nous ? Nous devons changer cette merde“, déclare Russell.

this-aint-rock-n-roll-extinction-rebellion-logo
Visuels de This ain't rock and roll pour Extinction Rebellion

Un logo pour unir et lutter, sans flower power

“De mon point de vue de designer, tous les mouvements écologistes qui ont vu le jour jusqu’à présent étaient nazes : leur conception était affreuse, ils s’adressaient uniquement à leur public interne, sans regarder vers l’extérieur”, explique Russell. “Il était vraiment important de faire passer le message que nous sommes un mouvement non violent, mais cela ne signifie pas que nous ne sommes pas en colère, bien au contraire, nous sommes vraiment, vraiment en colère”, ajoute-t-il.

Les précédents mouvements s’inscrivaient graphiquement dans la lignée des hippies, mais sans la puissance de frappe. On y voyait des fleurs, des arbres, des couleurs chargées et des typographies complexes et le plus souvent illisibles. XR a réussi le pari d’unir ces gens là à tous les autres, d’être lisible et durable dans le temps, et d’être pris au sérieux. Les graphistes utilisent des symboles universels complémentaires comme des têtes de mort, des animaux ou des plantes.

koalas-berlin-XR-stephan-muller
Koalas manifestant pour Extinction Rebellion — photo Stefan Müller

Limites et critiques du symbole Extinction Rebellion

Là où les mouvements des années 1970 privilégiaient l’imagerie bucolique (fleurs, animaux, paysages), XR assume une esthétique plus urbaine et parfois anxiogène, avec des illustrations style gravures sur bois en forme de tête de mort, ou des squelettes de faucheuses. Ses actions choc et “die-in” transforment les places publiques en cimetières symboliques, ses collages saturent l’espace visuel citadin de rappels mortuaires. En même temps, pour dénoncer la fin des espèces, difficile de faire autrement…

Cette radicalisation graphique divise. Pour ses partisans, elle traduit fidèlement l’urgence climatique. Pour ses détracteurs, elle verse dans “l’apocalyptisme” paralysant. Le logo Extinction Rebellion cristallise ces tensions : certains y voient un appel à l’action, d’autres une prophétie défaitiste.

Parmi les critiques adressées au mouvement Extinction Rebellion (XR), les accusations d’extrémisme et de sectarisme occupent une place importante, émanant de divers horizons, des responsables politiques aux experts en passant par d’autres figures du militantisme. Jutta Ditfurth, pourtant cofondatrice du parti écologiste allemand Die Grünen et sensibilisée au sujet (à priori), considère pourtant le mouvement comme une “secte ésotérique croyant en l’extinction précoce de l’humanité et recommandant le sacrifice de soi”.

En France, l’ultra-gauche cherche à infiltrer des mouvements sociaux comme XR en vue de déstabiliser le pouvoir, mais Extinction Rebellion réfute ces liens, réaffirmant son attachement exclusif à la non-violence comme éthique et stratégie. On leur reproche enfin d’être irréalistes sur leur demande de neutralité carbone et de se désintéresser des luttes sociales. Il est évidemment attendu que les mouvements écologistes soient toujours exemplaires à tous les niveaux : car il est moins fatiguant de juger les autres que de se remettre en question. Que ceux qui n’ont jamais pollué leur jettent le premier pavé !

Enfin, comme pour tout logo, les esprits critiques y voient des références à d’autres symboles ou marques. On pense au sablier franc-maçon, par exemple, symbolisant le temps perdu et fatalement, la mort, ou encore à la rune nordique dagaz, un sablier couché, qui représente l’équilibre du solstice d’été, l’éveil, une invitation au passage à l’action. Il se trouve que l’artiste ESP a affirmé s’être effectivement intéressé à ces motifs.

influences-similitudes-logo-XR

Certains y voient également le symbole Lakota, kapemni, utilisé par ce peuple amérindien pour signifier la symétrie entre le monde réel et le monde métaphysique, entre le ciel et la terre. Enfin, d’autres l’accusent de copier le logo du centre commercial Sogo, implanté en Asie. Les deux signes reprennent en effet le motif du X fermé dans un cercle, mais n’étant ni dans le même domaine ni sur le même continent, il est peu probable que le centre commercial ait influencé le militant.

L’héritage militant d’Extinction Rebellion

L’ancêtre influent le plus direct du logo Extinction Rebellion reste le symbole Peace & Love, créé par Gerald Holtom en 1958 pour la Campaign for Nuclear Disarmament britannique, dont on vous parlait dans l’épisode 1 de cette série. Holtom était un objecteur de conscience cherchant un symbole universel pour alerter sur une menace existentielle. La filiation est frappante : même géométrie du cercle protecteur, même refus de déposer les droits (Holtom voulait que son symbole reste “libre pour tous” même s’il a été détourné par la société de consommation), même capacité à transcender les frontières culturelles.

Mais là où le symbole de la paix traduisait l’angoisse nucléaire des années 1960-1970, le sablier d’ESP exprime l’urgence climatique des années 2010-2020. À tel point que The Guardian l’a décrit comme “le signe de paix de cette génération”, soulignant sa capacité à galvaniser l’inquiétude face à l’urgence climatique grâce à son design percutant, et à mener des actions non-violentes d’activisme pro-écologie.

Cette continuité révèle également une constante du symbolisme militant : les grands signes de protestation naissent toujours dans des contextes de menace. On en parlait dans notre article sur le branding des mouvements sociaux, “ces marques graphiques agissent de manière révolutionnaire, dans le sens où elles s’imposent de manière soudaine et collective en venant bousculer nos regards et nos consciences”, que ce soient les gilets jaunes, les collages anti-féminicides ou les Anonymous. La seule différence avec ces mouvements est que ces symboles sont tous nés dans l’urgence, parfois malgré eux, alors que celui d’XR a été recherché dans une logique de branding de marque.

L’équipe graphique d’Extinction Rebellion dit aussi être l’héritière de l’Atelier Populaire de Mai 68, qui produisait ses affiches sérigraphiées à la hâte dans l’urgence révolutionnaire. En revanche, les membres de l’Atelier créaient de A à Z dans un huit clos graphique et ne permettaient pas aux personnes extérieures de s’approprier leurs codes ou d’en créer elles-mêmes. Les deux graphistes d’XR disent s’inspirer également des couleurs pop d’Eduardo Paolozzi. “Paolozzi et l’Atelier Populaire ont tous deux rejeté les approches dominantes de leur époque et cherché quelque chose qui insufflerait un esprit rebelle aux gens… [ils] ont aussi en quelque sorte fait un pied de nez à l’ordre social”.

Depuis 2018, le sablier dans le cercle a inspiré à son tour d’autres artistes en laissant un héritage pérenne. Banksy l’a intégré dans une fresque, avec le message suivant “à partir de cet instant, le désespoir prend fin et les tactiques commencent”.

banksy-despair-tacticts-extinction-rebellion

L’artiste Joanie Lemercier a même consacré en 2019 un projet spécifique, “Projection Rebellion“, en projetant le logo sur des monuments importants, rappelant l’appel de Batman à Gotham City.

joanie-lemercier-photo-anthony-jarman
Projection Rebellion de Joanie Lemercier, photo Anthony Jarman

Le Victoria & Albert Museum de Londres l’a quant à lui acquis dans sa collection permanente, inscrivant ce symbole dans l’histoire du pays et reconnaissant le rôle esthétique du symbole pour alerter et rassembler. Russel appelle “tous et toutes les artistes et designers à dépasser les contraintes oppressantes du travail commercial fastidieux et à se joindre à nous dans notre rébellion“.

À vous de jouer, maintenant.

Sur le même thème
  1. Donald Trump, le martyr qui rentre dans l’histoire

    Donald Trump, le visage ensanglanté, lève le poing et semble proclamer “Je suis vivant, battez-vous !”.
    Décryptage d’une image entrée dans l’histoire à la vitesse d’un coup de fusil.

  2. Hobo signs, le langage secret des vagabonds d’Amérique

    Débrouillards et itinérants, les hobos développent un système de langage secret voué à disparaître, pour laisser des indications à leurs semblables.

  3. Écrire avec des images : des écritures pictographiques aux émojis

    Les premières écritures étaient des dessins, et les langages universels ont toujours utilisé des images pour communiquer.